Intention

D’où ça part…

Dans son roman Yann Andrea Steiner[1], Marguerite Duras dépeint une scène où des adultes regardent des enfants rescapés des camps de la mort, jouer ensemble dans un bassin d’eau. Et, Duras dit que les enfants se blessent dans leur euphorie et volent ce qu’ils veulent dans l’hôtel où on les a recueillis. Les adultes, eux, les laissent faire sans intervenir. Duras écrit qu’on ne peut plus rien interdire à ces enfants qui reviennent de l’horreur démesurée. L’image m’a saisie. Des enfants surexcités de joie dans un bassin d’eau qui devient rouge du sang de ces petits que la douleur n’arrête plus. Des enfants à qui l’on n’ose plus rien interdire. Et, ensuite, qu’arrive-t-il à ces enfants à qui l’on n’interdit rien? Que deviennent ceux qu’on laisse évoluer à leur gré, traînant avec eux des images et des souvenirs plus lourds que le monde? C’est ça le  défi de La peur et le pain : imaginer cinq enfants qui aurait survécus à… (quoi?)… l’innommable, l’inimaginable, l’inconcevable cruauté… et qui auraient grandis sans limites imposées par les adultes. Il ne faut surtout pas y chercher l’histoire de la Seconde guerre mondiale. Elle agit ici littéralement à titre de pré-texte.

 

D’où ça parle…

La pièce présente Hoche, Lou, Pêche, Rut et Lone qui forment une meute errante dont le comportement oscille constamment entre fraternité et cruauté. Comment vivre dans l’harmonie quand on a grandit dans la violence? La cohabitation et même la fusion entre la violence et l’amour est un thème récurrent dans le travail de L’eau du bain. Cela permet de refléter la complexité de l’être humain et du monde dans lequel il vit.

 

La peur et le pain est une pièce-paysage où la découverte d’un univers prédomine sur la succession d’actions. Le recours à des dispositifs médiatiques sonores est au cœur de notre démarche artistique. Il permet de transgresser les limites du théâtre et de mettre en place une œuvre performative où les acteurs posent des actes concrets en relation avec le lieu dans lequel ils sont et interagissent avec des éléments inattendus. Cela a pour but de maximiser l’aspect vivant du théâtre et de ne jamais occulter que les artistes en scène construisent l’œuvre en temps réel. Ces dispositifs, que nous nommons la Machine, permettent également d’amplifier ce qui se passe sur scène, au sens propre et figuré, et de perturber la relation auditive entre la scène et la salle.

 

La Machine, utilise les technologies de captation et de traitement de données en temps réel. Les acteurs, tels des musiciens en concert, sont maîtres de leur partition et de l’évolution du spectacle. Ils manipulent l’environnement sonore en entrant en contact avec la Machine, par des pressions, des manipulations d’objets, des déplacements dans l’espace et des sons qu’ils émettent et qui sont captés par des microphones. Nous voulons ainsi donner vie à l’environnement abstrait qu’est le son, et créer une présence influençable et influencée non visible, grâce aux technologies numériques actuelles.


[1] Paris, Gallimard. 1992